23 juin 2016

Le Village




Une jeune fille se réveille un matin dans une demeure inconnue. Livrée à elle-même au cœur d'un village aussi étrange que désert, privée de ses souvenirs, elle va bien vite se rendre compte que les secrets de son passé sont liés à ceux des anciens habitants des lieux. Pour se défaire de ces liens invisibles et espérer quitter ce village aux allures de prison hors du temps, elle va devoir raviver les cendres d'un bûcher centenaire...



Je tiens tout d’abord à remercier Patrick Dechesne des éditions de l’instant pour l’envoi de ce roman.
Second partenariat avec cette petite structure, le succès du premier, Un étranger en Olondre, m’aura convaincue de poursuivre cette belle aventure et ce second essai me confirmera la chance que j’ai ! Je tiens des perles entre les mains, et je vais vous expliquer pourquoi.

Toutefois, parler de ce livre en détails va être un exercice des plus périlleux. Je ne souhaite pas en dévoiler plus que ce que fait l’intrigue afin de laisser la chance de découvrir par soi-même l’ampleur de cette histoire, comme j’ai pu l’avoir moi-même, mais je sens que la critiquer en respectant ce principe va devenir très vite compliqué… Je me lance quand même !

La quatrième de couverture présente une histoire des plus intrigantes et alléchantes, il pose déjà des énigmes avant même d’avoir ouvert le livre grâce à ce qui est écrit et, surtout, ce qui n’est pas dit.
Au final, ce silence dont le résumé fait part ne s’étale que sur une poignée de pages, un chapitre, et je fus légèrement déçue qu’il ne dure pas un peu plus longtemps. Cela aurait permis de garder le suspens à son comble et j’aurai dévoré ce livre avec encore plus d’allégresse. De plus, la situation avait l’avantage de présenter la jeune fille blonde dans les détails, avec son mode de pensée et ses escapades dans cet univers pour le moins étrange, et notre attachement aurait pu être obtenu sur le simple premier chapitre. N’allez cependant pas croire que cela m’a empêché de me fondre dans le décor si spécial et merveilleusement bien décrit. J’avais envie d’en savoir plus et j’étais bien incapable de lâcher ce livre, tout au début.
La suite n’est qu’une succession d’actions qui nous laisse pantois, alors même que les questions fusent sans relâche. Est-ce une maladie, une malédiction, une punition qui s’abat sur ce village ? Qui sont tous ces enfants et adolescents et pourquoi sont-ils les seuls touchés par ce mal ? Et surtout, qui sont ces fameux Limiers, invisibles au tout début de l’intrigue ? Il faut avancer considérablement dans notre lecture pour en apprendre davantage et une fois fait, le récit redouble d’actions et de rebondissements à tel point qu’il ne nous est plus possible de lâcher le bouquin.
La fin à elle seule est un petit bijou de la Fantasy. L’auteur a accru l’intensité de l’action avec succès, entremêlant des notions d’horreur et de libération dans les mêmes mots. J’ai conscience de m’emporter en l’écrivant ainsi (c’est ce qui arrive quand on écrit à peine le livre refermé) mais c’est loin d’être une exagération : quoi que l’ambiance est sombre, ce livre nous offre une myriade de sensations qu’il vous faut à tout prix découvrir.

Une autre particularité de l’intrigue que je n’ai pas encore évoquée repose sur les interludes. Par définition, un interlude vient couper un passage et cela arrive à plusieurs reprises. Cela crée un certain suspens puisque le lecteur est contraint d’abandonner sur quelques pages les enfants auxquels on finit forcément par s’attacher et les situations auxquelles ils font face. De plus, les interludes qui interviennent dans la première moitié du livre alimentent les interrogations jusqu’à ce que le lecteur apprenne l’horreur finale.

On peut lire sur la quatrième de couverture qu’Estelle Faye compare ce roman à Sa Majesté des Mouches de William Golding. Pour tout vous dire, je suis entièrement d’avec elle. Le Village est un mélange entre quête initiatique où les personnages cherchent leur identité et la représentation d’une société miniature en construction, bien que brisée dés la base par des comportements jugés trop individualistes. Et puis ce roman-ci détient une aura bien plus mature que Sa Majesté des Mouches destiné à la jeunesse et, ayant lu les deux, je peux vous dire que j’ai largement préféré le livre d’Emmanuel Chastellière au classique britannique !

Contrairement à la Fantasy dite classique, les personnages ne foisonnent pas puisque la plupart sont cloisonnés dans une prison à part. Le lecteur est donc invité à suivre les pas d’une petite bande hétéroclite dans laquelle l’instinct de survie ne parvient pas à resserrer les liens.
Fumée se présente comme la chef de la bande d’enfants. Hormis Pastel, une petite fille muette, elle est la seule représentante de la gente féminine et doit toujours faire preuve de force et de combativité pour maintenir le moral des troupes. Du moins est-ce ainsi jusqu’à l’arrivé d’Epine.
Parmi les personnages masculins, deux d’entre eux se démarquent particulièrement. Le premier, Paille, se présente comme un personnage rêche et sec. Il ne prend pas de pinces pour parler et l’ouvre souvent pour cracher sa morgue. A l’inverse de lui, Fugue se fait plus discret, plus mystérieux également. Il ne se livre pas facilement et je dois dire qu’il est rapidement devenu mon personnage favori, par sa discrétion et la force qu’il dégage.
Malheureusement je trouve que malgré le nombre restreint de personnages, l’auteur n’a pas assez exploité la personnalité de chacun, donnant l’impression que les autres ne sont là que pour entretenir le décor. Bien sûr, avec l’intensité de l’action, on ne prête pas forcément attention aux individus délaissés, mais la fin est un douloureux rappel qu’eux aussi, ils existaient.

Parmi les autres personnages, on découvre en premier lieu un docteur de la peste. Etrangement, j’ai ressenti une certaine ambiguïté en découvrant ce type de personnages. En effet, les rencontres ayant lieu dans le premier chapitre le présentent davantage comme une créature surnaturelle tandis que les interludes le tournent davantage sous un angle anthropologique, avec un cœur et une âme compatissants.
Quant à un certain camelot, il ne sert qu’à alimenter les interrogations et ce sentiment de malaise qui nous accompagne tout au long de cette lecture. Il est également le créateur du suspens dans les interludes, faisant de lui un protagoniste à part entière.

La plume n’est pas forcément poétique mais confère une force supplémentaire à l’ensemble de cette histoire, au vu de la maîtrise de tous les codes possibles : Fantasy, suspens, etc.
Je voudrais néanmoins laisser une petite note sur les quelques coquilles que j’ai pu relever. Je sais ô combien il est difficile de supprimer toutes les petites erreurs qui viennent nous enquiquiner et j’en ai heureusement relevé que trois ou quatre, mais c’est tout de même dommage car je me suis toujours figée quelques secondes en les découvrant.

Maintenant, je voudrais parler de l’objet livre en lui-même.
Tout d’abord, la couverture est tout simplement sublime ! D’abord, les bâtiments font le tour de la première de couverture, signe du chaos nocturne régi par les règles du « jeu ». C’est farfelu dit ainsi, mais il faut lire le livre pour comprendre ! Et puis y’a une palette de couleurs qui se marient fortement bien et dépeignent formidablement l’ambiance du livre : une atmosphère sombre et mystérieuse dans laquelle on finit par entrevoir la lumière d’un espoir fou… J’étais comblée avant même d’ouvrir le livre.
Et puis ce roman offre un confort de lecture incroyable. Pour un prix raisonnable on découvre un travail sérieux. Tous les blancs, que ce soit tête et pied et grand fond, sont grands tout comme les interlignes si bien que la page nous apparaît aérer les yeux ne souffrent pas en s’y attardant (c’est quand même mieux qu’un poche écrit tout petit avec un interligne quasiment nul…). Et la taille de police est également adaptée pour le confort des yeux. Alors n’hésitez pas, c’est un livre agréable à lire tant sur la forme que sur le contenu !

Finalement, la plus belle appréciation que l’auteur puisse recevoir (à mon sens), c’est de savoir que j’étais en période de panne sèche livresque, je m’encroûtais dans mes lectures actuelles… et pourtant, je fus incapable de lâcher ce livre avant d’en connaître la fin ! Mille mercis pour ce petit bijou, M. Chastellière !



Emmanuel Chastellière nous livre un univers détonant sous fond de magie qui lui vaut bien une entrée fracassante parmi les meilleurs auteurs de Fantasy française pour adultes. On découvre une intrigue puissante accompagnée d’un flot d’émotions qui fera de cette lecture un souvenir marquant. Les personnages secondaires ne sont sûrement pas assez exploités mais l’auteur maîtrise parfaitement la personnalité des protagonistes majeurs, les rendant soit attachants à souhait ou bien sombres au possible ; aucun d’eux n’est ni trop blanc ni trop noir, ils sont tous torturés et c’est ce qui les rend attachants. Quant à la plume, elle nous entraîne du début jusqu’à la fin par sa force tranquille, sans poésie mais avec une puissance incontestable.
En bref, les quelques défauts qui apparaissent empêchent ce livre d’atteindre le coup de cœur, mais cela reste de la très bonne Fantasy française, à partager encore et encore !



18/20




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